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Récit d’une grosse galère - ©

Récit d’une grosse galère

Le 29 août 2012

Justine Mettraux a été victime d’une avarie de safran lors de la deuxième étape des Sables-Les Açores-Les Sables. Avarie qui lui a coûté le podium du classement général. Elle raconte son expérience à travers un récit brut et authentique, à lire absolument!

« Vendredi matin (18 août) après 36 heures de portant dans du gros temps, j’ai vu en faisant un check que mon safran bâbord était fissuré sur le côté et que ça gagnait sur l’avant entre les deux ferrures. C’était le safran au vent, je me suis donc laissé du temps pour suivre l’évolution de la fissure, afin de voir si ça s’aggravait ou pas, sachant que vu que j’avais un safran en réserve que je pourrais changer au besoin.

Comme c’était trempé et en train de travailler, je ne pouvais pas faire grand-chose pour réparer sur place mais j’ai tout de même mis du grey tape pour protéger un peu l’ensemble. Je ne sais pas si ça a changé quelque chose, vu que la strat était bien imbibée. C’était plus pour l’esprit et pour vérifier, car j’étais obligée de changer périodiquement le tape.

Je me suis informée auprès des concurrents atteignables à la radio pour savoir quel était le meilleur moyen pour changer de safran. Etienne Bertrand m’a conseillé de me mettre à la cape et de faire gîter un maximum pour que le safran ne touche plus l’eau et que ça soit possible de le changer. J’ai donc préparé le matos pour l’opération, au cas où, et j’ai temporisé. Je n’avais vraiment pas envie de m’arrêter vu que j’étais au contact du 514 et du 539 et que c’est toujours bien d’avoir du monde autour de soi. En plus, aux vitesses où on allait, une heure d’arrêt signifiait en tout cas 10 milles dans la gueule.

24 heures plus tard, la fissure ne s’était pas beaucoup aggravée. Pourtant, une heure après avoir empanné, elle avait gagné 5 bons cm. À ce moment-là, le vent était plus autour de 20 nœuds que des 25-30. Vu qu’il restait en tout cas deux jours de portant fort, je me suis dit que c’était mieux de changer plutôt que de prendre le risque que ça pète de nuit dans plus de vent.

Je me suis donc mise à la cape avec Grand-Voile haute et un ris dans le solent. J’ai réussi à enlever le safran fissuré, mais n’ai pas pu remettre l’autre. Il y avait beaucoup de mer et des vagues venaient taper ponctuellement sur le safran, et à ce moment-là on ne peut rien faire. Il suffit que l’eau pousse sur 5 cm du safran et il devient impossible de le tenir à la main. Je n’avais peut-être pas assez de toile avec un ris dans le solent. J’ai ensuite essayé en m’arrêtant et en affalant tout, mais j’avais toujours un peu de vitesse et surtout les vagues rendaient le truc impossible. J’ai réussi à un moment à passer une partie de l’axe du haut puis une vague a poussé le safran et avec la force de l’eau ça a tordu le fémelot. Tout ça m’a pris environ une heure.

Je suis donc repartie quelques heures avec juste le safran au vent et avec peu de toile, parce que sinon je faisais que de partir au tas dès que ça chargeait un peu. J’ai mangé et essayé de me reposer un peu parce que j’étais cramée après plus de deux jours soutenus et la tentative de réparation. Vu la situation, je n’avais pas fermé l’œil. Quelques heures après, le vent ait molli, j’en ai profité pour détordre le fémelot avec une clé à mollette et j’ai retenté l’opération avec toute la toile, et tout le matossage sous le vent. J’ai aussi amélioré ma technique en passant un bout dans la ferrure du bas du safran, ce qui m’a permis de la mettre plus ou moins en place sur le fémelot du bas, afin de passer l’axe du haut plus de repasser l’axe du bas.

Ça l’a fait assez rapidement, mais dans l’opération, je ne sais pas comment et je ne m’explique toujours pas, j’ai perdu l’axe de liaison barre-safran que j’avais préparé dans le cockpit. C’est un truc assez lourd donc je ne comprends pas comment il a pu se barrer, si j’ai shooté dedans ou quoi, bref, il n’était plus là. Je suis donc repartie comme ça, me disant que du coup je devrais changer mon axe à chaque bord ce qui n’est pas trop compliqué.

J’ai aussi vu à ce moment-là que le sac de mon grand spi, que j’avais laissé dans la filière sous le vent, avait basculé par-dessus bord. J’ai voulu le récupérer à une main. Mais je ne l’avais pas bien ficelé parce que j’avais affalé rapidement avant de me mettre à la cape la première fois. Mon spi est donc sorti de son sac d’une traite. J’ai essayé d’aller le rechercher, mais avec un seul safran et moi dans le rouge je n’ai pas réussi à le récupérer.

Bref, ça a juste été l’enchaînement de m…. en 15 minutes. J’ai payé le prix fort de petites erreurs de rigueur parce que j’ai sûrement voulu aller trop vite pour perdre le moins de longueurs possible sur mes concurrents, et que ça se passait à un moment ou j’étais éreintée vu les conditions qu’on a eues. Le déclencheur a quand même été ce safran qui n’aurait juste pas dû fissurer (le chantier me l’avait soi-disant renforcé après mes soucis en début de saison mais en allant les voir ce matin, ils se sont rendu compte que ça n’avait pas été fait !!!…. je suis dégoûtée).

Perdre dix minutes de plus à ce moment-là m’aurait évité de faire 5 jours sans mon grand spi, alors que c’était La voile à porter. Ça a été dur pour moi de me remettre dedans. J’avais l’impression d’avoir tout perdu et de m’être tiré une balle dans le pied après ma belle première étape et les premiers jours chauds où j’étais dans le coup. J’ai déjà pu voir à la Select que les soucis techniques en solo, compilés avec la fatigue, peuvent vite être durs à gérer moralement. Ces ennuis m’ont fait perdre une place sur le podium quasi assurée et la première place sur le classement de la saison. C’est assez dur à avaler.

Tout ce que je peux faire maintenant, c’est tirer les bons enseignements de cette expérience pour mieux gérer ce genre de problème à l’avenir. Ça me donne la niaque pour l’année prochaine. J’ai vu que si tout va bien, je peux être devant et j’ai donc hâte que la saison prochaine recommence pour prendre ma revanche !!! Je vais continuer à travailler un maximum à tous les niveaux ; physique, mental, sur les polaires du bateau, les navs, la météo, et profiter de cet hiver pour faire un bon chantier. Bref, Ça va ch… !! »